Être une femme SDF

person Posté par: Jexy Gavina list Dans: Actions Sociales Sur: comment Commentaire: 0 favorite Frappé: 1501

J’aimerais vous parler d’un phénomène dont on parle peu. Lorsque l’on entend « sans-domicile fixe », on imagine tous ce vieux cinquantenaire, barbe grisonnante, mal taillée, cliché 1, cliché 2 etc… Mais on entend rarement le témoignage des femmes vivant dans la rue.  Peut-être parce qu’elles sont une minorité ? Et pourtant, à titre personnel, j’ai une compassion plus forte envers elles. Sexisme mal placé ou réalité justifiée ?


La naissance de Fraterline


J’ai créé Fraterline précisément grâce (ou à cause) d’une femme SDF. Trois choses me semblent insupportables. Le contraste entre notre société si riche et si égoïste, la place des femmes dans notre société moderne, la violence morale ou physique faite aux enfants. Alors m’imaginez une femme et un enfant dans la rue m’est tout simplement inacceptable.


J’étais jeune étudiant en business sur Lyon et je sortais de ma campagne où la notion de sans-domicile fixe n’était qu’un épisode hivernal dont les médias s’occupaient un mois à l’année. Non pas qu’il n’existe pas de SDF dans ma terre natale Ardennaise (preuve avec « La Faim Prend Fin »), mais la misère est nettement plus perceptible dans les grandes métropoles. À tel point, qu’elle paraît même banale.
En face de mon 17m² Lyonnais situé cours de la Liberté, sous la devanture d’une boulangerie, vivait cette femme. Elle était la première personne que je voyais tous les matins avant d’aller en cours. Elle était petite et très fine, le visage abîmé par les inégalités de notre société. Tous les jours, j’avais honte de passer devant elle, avec ma petite valise d’étudiant, mon PC et ma dernière petite chemise de chez ZARA. Effectivement, je n’étais en rien coupable de sa situation mais ne voyez-vous pas le paradoxe ? Un étudiant sans argent qui a tout de même investi le prix d’une voiture de luxe dans ses études pour apprendre le business, l’entreprise et le marketing, passant tous les matins devant une femme SDF.

Tous les jours, ces écoles nous parlent profit, rentabilité, stratégie, marques, rêves. Je me souviens de cette conférence de Monsieur Séguéla qui a révolutionné la publicité en France. Il vantait le mérite de la marque d’eau minérale Evian qui se permettait de vendre de l’eau (oui juste de l’eau), 20 à 30 centimes plus cher que ses concurrents en vendant « du rêve ». Et nous consommateurs très intelligents, nous allions acheter ces bouteilles d’eau car 4 ou 5 bébés étaient mis en scène pendant leur spot publicitaire. Ce que lui qualifiait de génie, je le qualifiais de terrible. Pourtant, j'ai un profond respect pour Jacques Séguéla qui a fait naître une vraie passion chez moi pour la marketing et un réel optimisme pour notre génération.

J'étais en revanche contre la puissance du marketing au profit du profit. Et l’homme dans tout ça ? Ou plutôt cette femme devant chez moi ? Oui car dans la vraie vie, cette femme crevait de froid dans la rue. J’étais tiraillé entre l’adoration de ma discipline car je crois profondément en la force du marketing et la détestation de son utilisation par les marques. Pour résumer, le marketing actuellement est un peu comme le nucléaire que l’on aurait mis entre les mains d'un dictateur. Il pourrait s’en servir pour créer l’énergie dont son pays a besoin, mais on sait pertinemment qu’il s’en servirait pour créer une bombe nucléaire pour son égo personnel.


Pourquoi j’ai aidé cette femme plutôt qu’un autre SDF homme ?


Comme beaucoup d’étudiants, j’avais un budget plutôt serré et je me suis pourtant promis d’offrir le petit déjeuner de cette femme dès que je la croiserai. Je faisais en sorte de manger un peu moins le matin pour pouvoir partager mon petit déjeuner avec elle. C’est à ce moment-là que je me suis dis que n’importe quelle personne sur cette planète pouvait faire un simple petit geste pour beaucoup plus d’humanité. La preuve, donner 1 ou 2 euros par jour ne m’a pas du tout affecté dans ma vie, je suis en très bonne santé, je sortais toutes les semaines dans les bars Lyonnais et je ne me suis jamais senti en manque de quelque chose. En revanche, quand j’apercevais son sourire dès notre premier regard du matin échangé, je comprenais à quel point c’était important pour elle. Pourquoi elle, alors que je croisais 3 ou 4 autres sans-domicile fixe tous les matins ?

D’une part car j’avoue tout de même qu’il m’était financièrement impossible de donner la manche à tous les SDF. Et je pense aussi que ce n’est pas une solution viable sur le long terme. Donner la manche reste une action marginale, ça nous donne bonne conscience avant d’attaquer notre journée mais ça ne changera pas grand-chose à la société.


D’autre part car c’était une femme. C’est certainement très sexiste de ma part, j’en suis conscient, mais je la sentais plus vulnérable à cause de cela. Elle semblait moins forte physiquement et je me faisais une vague idée de ce que pouvait signifier être une femme SDF, à la merci de n’importe quel taré qui passerait par là. Notre société nous a également conditionnés à une image de la femme qui se doit d’être esthétiquement parfaite en toutes circonstances. Je me disais peut-être naïvement qu’il était plus facile pour un homme de sacrifier son esthétisme et son hygiène. Aujourd’hui, je ne sais pas. Je  ne sais pas si la misère est classable avec des cases et des points. Une chose est sûre, je défendrai toujours les plus faibles face aux plus forts.


Le documentaire « femmes invisibles »


Je suis tombé récemment sur cette vidéo. C’est un documentaire qui parle de la condition des femmes SDF. Je ne vous parle pas du petit documentaire que nous avons fait avec Amélie. Là, nous avons des vrais témoignages venant de femmes qui ont vraiment vécu dans la rue. Je vous invite vivement à regarder la vidéo en entier, vous comprendrez pourquoi il est peut-être temps d’agir concrètement.




J’ai été tout simplement bouleversé par les différents témoignages. Drogues, exclusions familiales, difficulté à remonter la pente, déconnexion et dignité féminine. Tout ce que j’imaginais sur cette femme 3 ans auparavant était réel. Je n’ai jamais osé aborder le sujet avec cette femme dans la rue. J’étais jeune et encore très mal à l’aise avec l’extrême pauvreté.


Après avoir vécu l’expérience « 3 jours comme SDF sur Reims » avec Amélie, j’avais déjà pu observer les difficultés supplémentaires qu’avaient les femmes dans la rue. Elle-même a témoigné de la difficulté d’avoir une féminité dans la rue, nous en avons d’ailleurs longuement parlé ensemble. Sans compter la manière dont certains hommes la regardaient et les questions totalement intéressées du genre : « T’as un mec ? », « C’est ton mec ? », « Ah, t’es célibataire alors ? ». Bizarrement tous ces hommes se foutaient de savoir si j’étais en couple. Que ce serait-il passé si je ne l’avais pas accompagnée ? Peut-être rien ou peut-être que l’un d’entre eux se serait montré plus insistant.


Bref, tout cela pour vous dire que voir cette femme SDF en décembre sous -3 degré Celsius, a certainement été l’élément déclencheur et ma motivation pour créer Fraterline. Je pense que les associations font un travail énorme mais qu’elles manquent de moyens, d’autant plus que le nombre de SDF ne cesse d’augmenter. À l’époque, avec un ami d’école qui partageait mes convictions, nous sommes allés à la rencontre du directeur des restos du cœur de Lyon. 

Voici ses conclusions :

  • •    Aucun SDF ne meurt de faim, nous avons trop de denrées alimentaires
  • •    En revanche, nous manquons de bénévoles pour les distribuer
  • •    Nous manquons d’argent pour pouvoir agir efficacement
  • •    La société exclue de plus en plus de personnes et nous devons nous occuper de plus en plus de personnes

Suite à cela, j’ai fait le choix de changer la manière dont la société fonctionne :

  • •    Où trouver cet argent ? Bonne question.
  • •    Est-ce aux citoyens de payer plus d’impôts ? Je ne le crois pas.
  • •    À l’état ? Cela reviendrait à la même chose en réalité.
  • •    Où est vraiment produite la richesse ? Au sein des entreprises.
  • •    Doivent-elles payer plus d’impôts ? Je ne le pense pas non plus.

En revanche, si l’on faisait de la charité un argument marketing, cela réconcilierait les citoyens et les entreprises autour d’une cause commune. Plutôt que d’investir dans de la publicité puérile (de l’eau qui vous fait redevenir jeune ? Vraiment ?), les entreprises transformeraient leurs budgets en charité pour attirer de nouveaux clients. Les citoyens, consommateurs par ailleurs, joindraient l’utile à l’agréable en achetant des produits dont ils ont besoin, tout en faisant un acte de charité.


J’ai reçu dans un premier temps pas mal de critiques, m’accusant de transformer la misère en argument commercial. Voilà le fond de ma pensée. On peut penser que le monde s’améliorera de par lui-même ou que l’humanité va droit dans le mur. Dans les deux cas, la position consiste à ne rien faire. J’ai choisi d’agir et je pense que cela peut fonctionner puisque le concept Fraterline a déjà permis de récolter 700 euros en faveur des SDF en seulement 8 mois. Entre temps je n’ai pas perçu un centime de mon activité.


Il est évident que je souhaite vivre pleinement de Fraterline et que si un jour par chance, l’entreprise vient à fonctionner, je compte employer des personnes pour la faire grossir en intégrant toutes les contraintes de gestion économique que vous pouvez imaginer. Tout comme ZARA, H&M ou autres vendeurs de prêt-à-porter, je souhaite vendre un maximum de vêtements, la différence est que Fraterline le fait dans l’objectif final de financer les associations qui aident les SDF. Je sais qu’une poignée d’entre vous sont déjà des Fraterlins convaincus et je vous en suis reconnaissant. Pour les autres, ceux qui se plaignent que le monde va mal, que l’on ne peut rien faire pour changer les choses, la balle est dans votre camps.

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